I Walk The Line

Le Soleil était à son Zénith quand la silhouette imposante de Madmartigan se découpa à l'entrée des plaines. L'homme avançait sous ce Soleil de plomb en semblant ne pas le sentir. Cela faisait maintenant trois semaines qu'il marchait en ne s'arrêtant que pour dormir et pour manger, il avait le rythme et s'habituait à peu près à tout. Il sut même exactement quand les Champignons allaient se mettre à crépiter, répercutant leur bruit de tonnerre à travers toute la vallée. Il n'alla pas au Champignon le plus proche afin de remplir sa gamelle, pour deux raisons principales : déjà, il lui restait assez de provisions dans sa besace et de toute façon, il ne consommait de ces Champignons que l'alcool et les cigarettes ; ensuite, on avait beau lui avoir assuré que cette région était pacifiste, il restait sur ses gardes et préférait ne pas rencontrer pour la première fois les habitants de cette région en allant remplir sa gamelle. Les gens étaient souvent méfiants envers lui, il faut dire qu'il en imposait, principalement aux heures d'activité des Champignons. Il avait beau avoir assez de nourriture pour tout le monde, il y avait toujours un petit malin pour foutre le bordel, ou pour ne pas accepter les nouveaux.

"I keep a close watch on this heart of mine
I keep my eyes wide open all the time
I keep the ends out for the tie that binds
Because you're mine, I walk the line"

Il se mit à fredonner tranquillement cette chanson qui avait été écrite près de dix siècles après sa mort. Comme la plupart du temps, un sourire amusé étira ses lèvres alors qu'il se faisait la réflexion que c'était vraiment ironique tout ça. Il se retrouvait dans un monde peuplé d'étrangers, qui n'avaient pas vécu dans la même époque ou même au même endroit, et il fredonnait une chanson d'un homme dont les ancêtres n'avaient même pas été conçus alors qu'il mourait. Non, décidément, tout ça c'était vraiment trop drôle. Mais s'il n'avait jamais entendu cette chanson chantée par son auteur, un certain Johnny Cash d'après ce qu'il avait appris, il l'avait entendue par Freddy Mercury, qui avait sûrement la plus belle voix qu'il n'ait jamais entendue. Et puis, lui, il la chantait. Et sa voix était agréable, vraiment. Assez proche de celle de Johnny Cash d'ailleurs, d'après ce que lui avait dit Freddy. Il n'avait aucun moyen d'en être sûr, mais qui sait?, un jour il rencontrerait peut-être ce Monsieur Cash et pourrait comparer.

"I find it very, very easy to be true
I find myself alone when each day is through
Yes, I'll admit that I'm a fool for you
Because you're mine, I walk the line"

Il avançait à grandes enjambées, paraissant tout à fait tranquille alors même que tous ses sens étaient aux aguets. Comme toujours. Dix heures de marche plus tôt, il était arrivé dans un village. On lui avait dit là-bas qu'il trouverait cette région avec les tipis. On lui avait dit qu'ils étaient complètement pacifiques.. Ca ne l'empêchait pas d'avoir sa main posée sur le pommeau de son épée. S'il avait le moindre doute sur l'intention de qui que ce soit, il sortirait son épée sans hésitation. Elle ne lui avait jamais fait défaut. Il regardait tout autour de lui, les gens devaient être aux champignons, il ne croiserait sûrement pas grand monde, mais il avait hâte de croiser quelqu'un. Chaque nouvelle rencontre était intéressante pour lui, même quand elle n'était pas agréable.

"As sure as night is dark and day is light
I keep you on my mind both day and night
And happiness I've known proves that it's right
Because you're mine, I walk the line"

Il continuait à fredonner mais il lui semblait bien pourtant avoir entendu un bruit. Un bruit de pas peut-être? Il faut dire qu'il commençait à être assez proche des tipis où les gens devaient vivre...

Lyrya s’étira voluptueusement, consciencieusement et langoureusement. La soirée avait été agitée, la nuit encore plus et elle avait bien mérité la grasse matinée qu’elle venait de s’offrir. De ce qu’elle pouvait voir de la lumière qui filtrait par l’entrée de son tipi, le soleil était déjà bien haut. La jeune prostituée bailla avec élégance et se redressa sur sa couche, une épaisse couverture multicolore, une des premières œuvres qu’elle avait achetées à Wren, sa faiseuse de miracles. Le drap qui la recouvrait, également cousu par Wren, glissa doucement le long de son corps nu alors qu’elle se levait enfin. Elle enfila sa tunique de lin, passa un peigne dans sa chevelure dorée, mâchonna une feuille de menthe fraîche, elle en gardait toujours un pot, pour l’haleine, et sourit à son reflet dans l’exquis miroir à main que Wesley lui avait fabriqué. Quel ange. Pas Wes, hein, cette pensée avait été provoquée par sa propre image. Elle posa sur ses lèvres la pâte rouge qu’elle obtenait en mélangeant un certain nombre de baies écrasée et sur ses joues la poudre qu’elle obtenait en pilant les galets rosés qu’on pouvait trouver de l’autre côté du fleuve. Ceci fait, elle s’envoya un baiser et un clin d’œil.

Ses préparatifs matinaux achevés, la belle blonde sortit de sa tente, cligna des yeux devant la lumière crue du soleil et, sa gamelle à la main, se dirigea nonchalamment vers les champignons métalliques. Elle n’avait pas particulièrement faim mais avait hâte de recevoir sa ration quotidienne de nicotine. Elle n’avait jamais fumé dans sa vie mais était devenue accro depuis sa mort. Après tout, le cancer du poumon ne faisait pas peur et elle avait des moyens de se débarrasser de l’odeur. Alors, pourquoi se priver.

Elle revenait vers chez elle, une cigarette déjà allumée aux lèvres, une bouteille de scotch dans la main droite, quand elle aperçut quelqu’un, de dos, qui chantait une chanson inconnue au bataillon. Déjà quand elle était vivante, elle ne s’intéressait pas du tout à la musique alors maintenant… Par contre, ce qu’elle remarquait, c’était que ce garçon là avait un dos… tout à fait appréciable… musclé comme il fallait et doré par le soleil. Et une épée à sa taille. Instinctivement, elle vérifia que son arme était bien à sa place. Oui, elle sentait le métal froid contre sa cuisse.

Lyrya accéléra le pas, de façon à dépasser l’homme en question avant de faire volte face et de se planter devant lui, un bras croisé contre sa taille, l’autre plié au niveau du coude, tenant la cigarette à hauteur de sa bouche tandis qu’elle le dévisageait sans vergogne. Son examen terminé, elle inspira une longue bouffée et souffla l’odorante fumée aux reflets bleutés en plein sur le visage du nouveau venu, avec une sensualité indéniable. Car c’était bel et bien un nouveau venu. Métier oblige, elle connaissait tout le monde ici et cette tête là était nouvelle.

D’où il sortait encore celui-là ? On aurait dit un guerrier ou quelque chose comme ça. Lyrya ne se posait en fait pour l’instant qu’une seule question : allait-elle pouvoir le coucher dans son lit et en tirer un bon prix. Il était plus qu’appétissant et avait eu les moyens de s’offrir une arme. Parfait. La jeune femme déboucha sa bouteille de scotch avec les dents et la tendit au bel homme qui lui faisait face, pour lui en proposer une gorgée, le tout servi avec un sourire ravageur. Ce n’était pas par bonté d’âme, ce n’était pas un cadeau. C’était un investissement.

- Bienvenue… J’m’appelle Lyrya…

Autant être aimable pour commencer. Elle saurait bien ensuite adapter son attitude en fonction de sa réaction. Et, en cas de besoin, il ne lui faudrait qu’une fraction de seconde pour dégainer son poignard.

"You've got a way to keep me on your side
You give me cause for love that I can't hide
For you I know I'd even try to turn the tide
Because you're mine, I walk the line"

Alors qu'il chantait ce nouveau couplet, Madmartigan se fit dépasser par une jeune femme qui vint vite se planter devant lui. Il s'arrêta brusquement mais sans avoir l'air pour autant de risquer de manquer d'équilibre, en tant que bon bretteur il avait un équilibre aussi bon que celui d'un danseur, et les arts-martiaux pratiqués depuis quelques temps ne pouvaient qu'ajouter à cette capacité. Il n'arrêta même pas de chanter, apparemment bien décidé à terminer son couplet. De toute façon, la blonde était pour l'instant occupée à le dévisager, ce qui était vraiment agréable. Il avait vu peu de femmes aussi belles dans sa vie, et n'en avait pas croisé beaucoup plus depuis qu'il était mort. Madmartigan était du genre à n'avoir de faiblesse qu'envers la gent féminine, une beauté comme Lyrya ne pouvait que raviver en lui certaines envies qui n'étaient pas oubliées depuis si longtemps.

Un sourire éclaira son visage quand Lyrya finit par ouvrir la bouche et lui souhaiter la bienvenue. Son sourire était un sourire très beau, sincère et très attirant. Il avait toujours souri ainsi, et c'était sûrement une des armes qu'il maniait le mieux pour le combat qui se jouait entre les hommes et les femmes depuis la nuit des temps. Avec aplomb, il se saisit de la bouteille tendue et en but une gorgée, sans même imaginer qu'elle puisse contenir un poison ou un narcoleptique. Airk avait toujours dit qu'il finirait par mourir de son amour pour les femmes, et ça risquait bien de lui arriver dans ce nouveau monde. S'il y avait un domaine dans lequel Madmartigan pouvait se montrer naïf, c'était bien dans le domaine de l'amour. Il avait tendance à toujours avoir confiance dans les femmes.. Il faut dire que dans sa vie, il n'avait cotoyé que des femmes plutôt stupides, belles mais pas intelligentes ou cultivées, qui se laissaient avoir par ses charmes très vite et qui n'avaient rien à lui piquer. Il n'avait rencontré que peu de femmes intelligentes, mais avait trouvé ça très intéressant comme expérience.. Et quelque chose lui disait que Lyrya ne lui offrait pas de l'alcool par simple courtoisie..

"Madmartigan." répondit-il tout en tendant la bouteille à la jeune femme avec ce même sourire. "Accueil grandiose."

Il avait ajouté ce petit commentaire en inclinant un peu la tête pour regarder Lyrya. Elle était vraiment magnifique.. Et l'irlandais du XIème siècle commençait déjà à imaginer à quel point ça devait être agréable de toucher une peau aussi douce.. Seulement, il ne paierait rien. Il ne savait pas qu'elle était une prostituée, mais s'il l'avait su il n'aurait pas agi autrement. Il avait connu beaucoup de filles de joie dans sa vie et n'avait jamais donné un seul centime pour les approcher.. Elles finissaient toujours par accepter de faire un peu de bénévolat..

Madmartigan a écrit:

[Il n'avait rencontré que peu de femmes intelligentes, mais avait trouvé ça très intéressant comme expérience..

[]

La jeune femme récupéra sa bouteille de scotch et en enfila une grande lampée avant de s'essuyer la bouche d'un revers de la main. Lyrya n'était jamais la dernière à lever le coude et détestait les attitudes de mijaurée qui consistait à boire du bout des lèvres, en cachette, parce que l'alcool n'était pas pour les dames. Elle n'avait rien d'une dame et ne s'en cachait pas. S'il y avait bien une chose que Lyrya ne faisait pas, c'était prétendre être autre chose que ce qu'elle était vraiment. et même si ses façons un peu cavalières avec l'alcool et la cigarette contrastaient avec toutes ses autres attitudes, toujours sensuelles et étudiées, quelque part, ça ne faisait qu'ajouter à son charme.

- Mad... Martigan? répéta-t-elle, en détachant bien les deux mots et en insistant lourdement sur le "Mad" et en haussant légèrement un sourcil. Le moins qu'on puisse dire c'était que c'était un nom original, même pour ici où les gens choissisaient plus ou moins le nom qu'ils voulaient.

Quant au commentaire sur son accueil et au regard appréciateur dont il l'enveloppa, elle fit comme si de rien n'était. Elle ne l'accueillait pas vraiment après tout, elle se faisait simplement de la prospection commerciale. Et ces yeux qui se posaient sur elle... ils inspectaient seulement la marchandise. C'était probablement très cynique mais c'était bien ainsi qu'elle voyait les choses.

- Et je suppose que tu portes bien ton nom? ajouta-t-elle, tout en lui tendant de nouveau la bouteille.

Après tout, il lui était sympathique et, à défaut d'autre chose, il pourrait toujours devenir un camarade de beuverie, il avait une descente suffisamment bonne pour cela. Et, elle pouvait bien se séparer de quelques gorgées de scotch. Enterré dans la forêt pour rester au frais, elle avait tout un stock de bouteilles qui n'attendaient que d'être bues. Mais, piur l'heure, il restait un client potentiel, elle gardait bien cela à l'esprit.

[Ben quoi? ]


L'attitude de Lyrya vis-à-vis de l'alcool avait de quoi plaire à Madmartigan. Il faut dire qu'à son époque, les femmes étaient rarement sophistiquées.. Ou plutôt, il ne fréquentait pas ce genre de femmes.. Les tavernières étaient en général les premières à lever le coude, et il lui était arrivé, tout bon buveur qu'il soit, de rouler sous la table alors que la femme qui l'accompagnait tenait encore assez stable sur ses deux jambes. C'était sûrement son côté un peu rustre, un peu barbare qui ressortait, mais Madmartigan n'avait jamais autant de respect pour une femme que quand elle savait boire. Et là, son respect pour Lyrya venait d'augmenter de plusieurs degrés. Elle était belle, fraîche, elle avait toutes ses dents et, en plus, elle savait boire! Madmartigan ne voyait pas quoi demander de plus.


"En un seul mot." répondit-il en faisant un petit clin d'oeil à la prostituée.

Elle lui demanda s'il portait bien son nom et Madmartigan se laissa quelques secondes pour y réfléchir. Pendant ce temps, il reprit la bouteille et but une nouvelle grande lampée. Il était peut-être trop tôt pour la plupart des gens pour boire ce genre d'alcool, pour Madmartigan même au réveil ça pouvait être l'heure, à condition d'avoir quelqu'un avec qui partager la bouteille. L'irlandais n'était pas du genre à boire tout seul, c'était quelque chose qui lui paraissait presque sacrilège. Il était d'une époque où l'alcool était encore quelque chose de convivial, qui permettait de rencontrer des gens. Dans les tavernes les gens discutaient et faisaient la fête ensemble, même parfois entre ennemis de longue date. C'était un peu un sanctuaire.. un sanctuaire qui n'avait rien de religieux et qui sentait l'alcool et la nourriture, très grasse en général. Il rendit une seconde fois la bouteille à la beauté qu'il avait sous les yeux avant de répondre.

"Je sais pas si je le porte si bien.. On me dit souvent que je suis fou.. Après tout, peu de gens traverserait les régions du Fleuve avec une arme qui attire autant de convoitises," ce disant, il posa sa main sur son épée. "et surtout, peu de gens s'arrêterait à l'instinct. Mais ça n'est peut-être pas moi qui suis fou.. Depuis la Grande Resurrection, tout le monde semble vouloir reprendre sa vie là où elle en était.. J'ai vu des régions où les gens s'habillaient à la mode victorienne (du moins c'est comme ça qu'on a nommé cette mode quand je l'ai décrite) et qui continuaient à aller à l'Eglise tous les dimanches matin... Il n'y a pas de dimanche puisqu'il n'y a pas de calendrier.. Et l'Eglise a pour moi montré qu'elle s'était fourvoyée.. Nous ne sommes ni au paradis, ni en Enfer. Alors.. Je crois que tout le monde mériterait de s'appeler Mad-quelque chose.. Et toi, Madlyrya, qu'est-ce que tu en penses?"


Il était sûrement étrange de voir un homme tel que lui faire de l'humour et avoir une façon de réfléchir aussi pointue, aussi "moderne". Derrière ses airs de barbare, et certaines de ses pensées qui étaient un peu rustres encore, Madmartigan cachait un esprit qui n'avait rien à envier aux plus grands penseurs de l'Histoire. Seulement, le contexte de sa vie avait voulu qu'il devienne mercenaire plutôt que philosophe.. Et depuis qu'il vivait dans ce monde étrange, il continuait à agir comme il l'avait toujours fait, son caractère n'avait pas vraiment changé, sauf qu'il apprenait et se découvrait une vraie curiosité, et d'autres talents que celui de manier une arme.